Un peu d'éveil sur l'informatique Libre : le logiciel libre

Dans ce premier chapitre je ne parlerai que des logiciels que l'on installe sur ses propres appareils, pas de ceux que l'on utilisent en ligne depuis un navigateur web.

Petit rappel historique

Pour communiquer l'être humain s'est doté de différents outils au cours de son évolution, en commençant par le langage oral et la peinture. Pour déployer ces outils au plus grand nombre, il est devenu nécessaire d'uniformiser ces langages. Les premières écritures sont apparues sous forme de hiéroglyphes en Égypte, de sinogrammes en Chine, de pictogrammes sumériens en Basse Mésopotamie, d'alphabet grec, etc… C'est grâce à ceux-ci que nous avons développé plusieurs langues (français, allemand, anglais, grec, japonais, chinois, russe, mongol, arabe, etc…). En occident nous avons retenu l'alphabet latin et ses 26 lettres.

Le déploiement de ce langage se fait essentiellement à l'école en apprenant à lire et à écrire. Cet outil est donc un bien commun que chaque personne peut utiliser librement et même modifier. La langue française a d'ailleurs régulièrement évolué quand le besoin s'en faisait ressentir, que ce soit dans un intérêt commun ou pas.

Pour transmettre ses idées, ses pensées, ses histoires par l'écriture, d'autres outils matériels sont nécessaires comme le papier, l'encre et la plume. Ceux-ci aussi peuvent être utilisés en toute liberté. Par "liberté" j'entends que les outils en eux-même n'apportent aucune contrainte à la personne qui les utilise, je ne parle pas des lois imposées par un État qui peuvent réduire la liberté d'expression. Au 15ème siècle, l'invention de l'imprimerie, popularisée par Gutenberg, a permis la diffusion des écrits d'une manière plus rapide et plus large, comme c'est le cas avec la presse écrite par exemple. Lire un texte écrit en français nécessite de connaître la langue française, rien de plus.

Au cours de la révolution industrielle du 20ème siècle, beaucoup d'inventions changeant la manière de communiquer ont vu le jour. La radio et la télévision analogique ont permis de diffuser des émissions par onde en direct. Cette technologie permettait d'envoyer/recevoir l'image et le son en sens unique. Les téléviseurs de l'époque ne pouvaient pas diffuser une émission mais uniquement la réceptionner. L'invention du téléphone a permis d'échanger oralement entre deux interlocuteurs à distance.

Tous ces outils de transmission de l'information et de communication sont soit entièrement mécaniques (crayon et feuille, imprimerie, machine à écrire) soit analogiques (radio, télévision). Une fois l'information transmise, le destinataire n'a besoin de connaître que la langue utilisée pour la comprendre.

L'arrivée du numérique

Puis la démocratisation des ordinateurs personnels et du réseau Internet sont apparus. On commence à voir des ordinateurs dans les foyers à partir des années 80 et un accès à Internet la décennie suivante.

La plupart des outils de notre quotidien autre que l'ordinateur ont une fonction primaire. Le vélo sert à nous déplacer d'un point A à un point B, le four sert à cuire un plat, le marteau sert à planter des clous, la machine à écrire à écrire un texte, le magnétoscope sert à visualiser et enregistrer des cassettes vidéos, etc… Rien ne nous empêche de les utiliser pour une autre fonction bien entendu. En revanche un ordinateur n'a pas de fonction primaire. D'ailleurs contrairement aux précédents outils cités, l'ordinateur ne peut pas fonctionner sans logiciel. C'est-à-dire qu'il doit être équipé de différents outils supplémentaires immatériels pour être utilisable. Ce sont ces logiciels qui ont une fonction primaire. Un logiciel de traitement de texte sert à mettre en forme un texte. Un logiciel de courriel sert à recevoir et envoyer des messages électroniques. Un logiciel de lecture multimédia sert à écouter des musiques ou regarder des vidéos. On comprend que l'ordinateur permet, entre autre, de transposer les usages que nous avions déjà dans le monde physique vers un espace numérique. Au lieu de lire notre journal papier, nous consultons les articles de presse sur un site web. Pour remplacer nos vieux téléphones S63, nous utilisons des logiciels de visioconférence.

Si nous transposons nos usages physiques vers du numérique nécessitant des logiciels, alors ceux-ci doivent nous garantir les libertés déjà acquises. En effet, j'expliquais que pour lire un livre papier, il est nécessaire de maîtriser la langue française uniquement. Pour lire un livre numérique au format PDF, il est nécessaire en plus d'avoir un logiciel capable de décoder ce fichier PDF. Il n'est pas possible de lire directement un tel fichier sans logiciel pour le décoder.

Texte papier VS Texte numérique au format PDF

Puisqu'il y a maintenant un logiciel entre l'humain et l'information, comment garantir que celui-ci ne nous retire aucune liberté ?

Petit rappel de l'informatique moderne

Dans les années 60/70, avant l'arrivée de l'informatique personnelle, les ordinateurs étaient vendus avec les logiciels nécessaires et leur code source. Le code source est écrit par des humains développeurs dans un langage compréhensible par l'être humain. La comparaison classique que l'on peut faire est celle de la recette de cuisine. Le code source est comme une recette, il donne toutes les étapes nécessaires que l'ordinateur doit exécuter. Avoir la possibilité de lire et modifier ce code source permet de vérifier que l'ordinateur fait bien ce qu'on lui demande, et de l'adapter à sa guise. À cette époque personne ne se posait la question des droits d'utilisation du logiciel et de l'accès à ce code source. Comme pour les langues, le logiciel était naturellement un bien commun.

Mais au début des années 80, avec l'arrivée des premiers ordinateurs personnels, Bill Gates, l'un des fondateurs de Microsoft, et bien d'autres personnes, ont eu l'idée de vendre des licences logiciel. Cela signifie que les ordinateurs et les logiciels, dont le système MS-DOS de Microsoft, étaient vendus séparément. Il devenait nécessaire d'acheter d'un côté l'ordinateur, et de l'autre la licence du système d'exploitation. Pour simplifier la tâche, les PC étaient directement vendus avec une licence Microsoft pour que les clients aient directement un produit fini. C'est le principe de la vente forcée, toujours en vigueur, qui contraint l'achat d'un ordinateur avec une licence Windows.

Logiciel libre vs Logiciel privateur

Les logiciels distribués sous une telle licence sont appelés logiciels propriétaires ou privateurs. Ces licences posent des contraintes aux utilisateurs et utilisatrices. Par exemple elles peuvent les contraindre à n'utiliser le logiciel que sur un poste unique, il est interdit de le copier pour l'utiliser sur un autre. Si vous avez 2 PC, vous devez acheter deux fois la licence Windows. Le partage entre humains n'est donc pas possible. Elles peuvent limiter la durée de vie du logiciel par un contrat d'abonnement. Et surtout ces logiciels sont vendus sans leur code source, c'est-à-dire sans la recette de cuisine. Et sans ce code, il n'est pas possible de vérifier si le logiciel fait bien ce pourquoi il est prévu, il n'est pas possible de le corriger ou de l'adapter à nos besoins. Si nous souhaitons apporter une nouvelle fonctionnalité, il faut prier les développeurs de la coder.

Logiciel propriétaire/privateur

Si vous écrivez un texte à l'aide d'un logiciel privateur, par exemple Microsoft Word, que vous l'enregistrez dans un format tout aussi privateur, le format DOCX dans ce cas. Cela signifie que vous devez obligatoirement utiliser le logiciel de Microsoft pour lire votre propre document. Vous êtes donc lié·es à Microsoft. Dans la pratique il est possible d'utiliser autre chose que Microsoft Word pour ouvrir un document DOCX, mais rien n'empêche Microsoft d'interdire techniquement et juridiquement cette possibilité. Et si Microsoft décide de ne plus supporter son format à l'avenir, vous aurez des documents inutilisables. Vos propres écrits, dépendant du bon vouloir de Microsoft, ne pourront plus être lus ni modifiés, pas même par vous.

Un développeur du nom de Richard Stallman a compris rapidement que ces licences restrictives étaient un véritable problème puisque les utilisateurs et utilisatrices se retrouvaient à utiliser des logiciels artificiellement verrouillés.

Il a donc écrit une licence libre qui garantit les libertés fondamentales à tout le monde :

  • la liberté de faire fonctionner le programme comme vous voulez, pour n'importe quel usage (liberté 0) ;
  • la liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu'il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l'accès au code source est une condition nécessaire ;
  • la liberté de redistribuer des copies, donc d'aider les autres (liberté 2) ;
  • la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l'accès au code source est une condition nécessaire.

Richard Stallman a l'habitude de reprendre la devise française pour expliquer le logiciel libre :

  • Liberté parce que les utilisateurs/utilisatrices sont libres d'utiliser le logiciel sans restriction,
  • Égalité car tout le monde dispose des mêmes droits, que l'on soit simple utilisateur/utilisatrice ou développeur/développeuse,
  • Fraternité car le partage et la coopération entre tous sont encouragés.

Logiciel Libre

Il a également commencé en 1983 à écrire un système d'exploitation nommé GNU dont le but était d'avoir un système compatible avec UNIX (autre système qui devenait également verrouillé), et qui soit intégralement libre. En 1991 le système GNU était presque fini, il ne restait plus que le noyau (le cœur) du système à terminer pour avoir un système complet. Linus Torvalds, étudiant finlandais qui suivait son développement a écrit ce noyau et l'a publié sous licence libre sous le nom de Linux. Le système GNU/Linux est alors devenu un système complet et intégralement libre.

Pour reprendre l'exemple du texte, si vous l'écrivez en utilisant un logiciel libre comme LibreOffice et que vous l'enregistrez dans un format libre (ODF par exemple), votre document ne sera pas emprisonné par un éditeur de logiciel. Le fait que le format du document soit libre signifie que son fonctionnement, ses spécifications sont un bien commun. D'une part votre texte ne dépend pas d'un logiciel, d'autre part, en imaginant que ce format ne soit plus utilisé d'ici 50 ans et que l'on ne trouve plus de logiciel pour le lire, comme ses spécifications seront toujours accessibles, il sera toujours possible de recréer un logiciel le supportant. L'intéropérabilité et la pérennité de vos documents sont donc assurées.
À titre de comparaison, le latin est une langue morte, pourtant cela ne nous empêche pas d'étudier des textes écrits dans cette langue car son langage est un bien commun.

Est-il possible de fermer un logiciel libre ?

En théorie il est possible de changer un logiciel libre en logiciel privateur, mais dans la pratique cela est, à mon sens, impossible. La personne ou groupe de personnes ayant créé un logiciel libre peut décider de le publier sous une licence privatrice à un moment donné. Par exemple elle va publier la prochaine version de son logiciel sous cette nouvelle licence, mais les anciennes versions restent libres. Dans ce cas, rien n'empêche une autre personne de reprendre la dernière version libre du logiciel pour en créer un nouveau qui soit libre.
Par exemple le logiciel OpenOffice, suite bureautique alternative à Microsoft Office, était détenu par l'entreprise Sun Microsystems. Le logiciel était publié sous licence libre. En 2010, Oracle a racheté Sun Microsystems et est devenu propriétaire du logiciel. Devant la crainte qu'Oracle change la licence du logiciel, la fondation "The Document Foundation" a été créée pour poursuivre le développement d'OpenOffice. Elle a donc récupéré la dernière version libre du logiciel en nommant ce nouveau projet "LibreOffice". Oracle peut juridiquement rendre privé son logiciel, mais n'a aucun droit sur le nouveau logiciel LibreOffice. Voilà pourquoi il est, à mon sens, impossible de véritablement fermer un logiciel libre. D'autres cas ont pris le même chemin comme ça été le cas de Nextcloud créé à partir de ownCloud par exemple, ou MariaDB à partir de MySQL.

Pour détailler un peu en restant très simple, il existe deux grandes catégories de licences libres. Les licences copyleft comme la GPL et les licences BSD/MIT… Les licences copyleft n'apportent qu'une seule obligation, les modifications du code source doivent être également publiées sous une licence libre compatible. À l'inverse les licences BSD/MIT n'apporte pas cette contrainte, il est donc possible de modifier un logiciel libre et de s'approprier le logiciel modifié sous une licence privatrice.
Là où beaucoup pensent que les développeurs chez Apple sont des génies qui ont développés des logiciels super beaux et sympas, il faut savoir que l'entreprise à utiliser le système d'exploitation BSD, dérivé d'Unix, pour créer le sien. L'entreprise n'est pas parti de rien. Elle a choisi un système stable et fonctionnel publié sous une licence BSD très permissive. Apple a surtout des génies marketing.

J'espère que ces explications vous permettent comprendre l'intérêt d'utiliser du logiciel libre et de conserver tous vos documents dans un format libre.
Vos photos de famille, vos vidéos sont-elles stockées dans des fichiers dont le format est libre ? Est-ce que vous pourrez toujours les ouvrir dans 30 ans ? Est-ce que vous pourrez les transmettre dans l'espoir de les conserver ? Voilà des questions intéressantes à se poser.

J'ai entendu dire que les logiciels libres et gratuits ne sont pas à la hauteur des solutions privatrices, est-ce vrai ?

Tout d'abord sachez que vous utilisez probablement des logiciels libres sans le savoir. Android qui équipe vos tablettes, smartphones, vos tvbox… est un système d'exploitation libre dont le cœur est Linux. Vos TV, vos routeurs (livebox, freebox…) tournent également sous Linux. Tous les serveurs des gros prestataires que sont Google, Apple, Facebook… tournent sous des logiciels libres comme GNU/Linux ou BSD. Même Microsoft utilisent Linux plutôt que son propre Windows Server… c'est dire comme c'est fonctionnel. Il n'y a que les PC qui continuent de tourner sous le système privateur Windows, d'une part à cause de cette vente forcée entre PC et licence logiciel, et aussi car quand on est habitué à utiliser un système depuis des décennies, il est compliqué d'en changer. Remplacer un système Windows par GNU/Linux n'est en soi pas compliqué, et vous retrouverez des logiciels vraiment similaires, mais le changement d'habitude est souvent le frein principal à franchir.
Pour terminer de répondre à la question, des logiciels comme Firefox, Thunderbird, LibreOffice, VLC, GIMP, Nextcloud n'ont rien à envier à leur équivalent privateur. Le logiciel libre est clairement une alternative largement à la hauteur des solutions privatrices. Alors pourquoi payer des licences qui verrouillent notre informatique quand on peut installer des logiciels gratuitement en la respectant ?

Modèle économique

Je développerai ce sujet dans un autre article. Pour faire très simple, un logiciel privateur vend des licences logiciels comme un bien physique et donc rare, alors que ce n'est pas le cas. Et pour être bien sûr que les utilisateurs/utilisatrices utilisent leurs logiciels, les éditeurs trouvent des solutions pour les installer à leur insu. Pour prendre un exemple très connu, les personnes n'utilisent pas le navigateur Google Chrome par choix mais parce qu'en installant tel ou tel autre logiciel sur son ordinateur, Google Chrome s'installe en même temps et se définit comme navigateur par défaut. C'est une pratique très courante pour imposer ses logiciels.

Un logiciel libre seul est toujours gratuit, ce qui est vendu derrière est le support, la maintenance, le développement, etc… Le modèle économique est essentiellement basé sur l'économie du service et non d'un bien.

Où peut-on trouver ces logiciels libres ?

Vous connaissez et utilisez sans doute plusieurs logiciels libres même sans le savoir. La suite bureautique LibreOffice, le navigateur web Mozilla Firefox, le lecteur multimédia VLC, le logiciel de messagerie Thunderbird sont les plus répandus. Tous ces logiciels sont disponibles gratuitement sous Windows, sous Mac, sous GNU/Linux et les systèmes BSD (FreeBSD, OpenBSD…). De manière générale il existe des alternatives libres à la plupart des logiciels dont vous avez besoin.

Pour remplacer Windows ou MacOS, il est possible d'installer une des nombreuses distributions libres basées sur le système GNU/Linux, comme Ubuntu, Linux Mint, openSUSE, etc…

En tout cas, la première étape est de remplacer votre navigateur web par Mozilla Firefox, de remplacer votre suite bureautique par LibreOffice et d'utiliser VLC comme lecteur multimédia.

Conclusion

Ce qu'il est important de retenir est qu'utiliser des logiciels Libres et enregistrer vos documents dans des formats Libres vous garantit que vous avez le contrôle de votre informatique. Vos fichiers ne seront jamais verrouillés et/ou dépendants d'un logiciel spécifique. De plus vous ne contraignez pas les personnes avec qui vous échangez à utiliser des logiciels particuliers. Tout le monde est libre d'utiliser ce qu'il souhaite.

Je vous suggère de regarder le documentaire "LoL, Logiciel Libre, une affaire sérieuse" réalisé par François Zaidi, écrit par Thierry Bayoud et Léa Deneuville. Il complétera cet article.

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